
« La
compréhension de concepts est insuffisante. Les concepts sont comme des
panneaux d’affichage qui indiquent un chemin. Il ne s’agit pas de transformer
les concepts en croyances, mais plutôt de les voir comme une invitation à réaliser
par nous-mêmes la possibilité d’une certaine dimension de conscience qu’on
appelle l’éveil : pour apprendre à être avec soi-même, pour approfondir la
dimension qu’on appelle aussi présence. Le thème est TOI et je (Eckhart) veut
mettre le doigt sur quelque chose de fondamental pour vivre une vie ayant du
sens.
Le mythe de
Narcisse, qui marche dans les bois, arrive devant une étendue d’eau, et
s’émerveille de la beauté de son propre reflet dans l’eau. Comme une prophétie
ancienne de l’arrivée du selfie. Narcisse tombe amoureux de son propre reflet,
il ne peut plus le quitter, cette image devient pour lui une obsession. Une
obsession comme ce que l’on ressent lorsque l’on « tombe amoureux » – ce qui a
peu à voir avec l’acte d’aimer. Narcisse finit par perdre son bonheur et se
suicider.
L’origine de
la souffrance : le MOI conceptuel et l’identification à la matière
Nous avons
tous une image mentale de qui nous sommes. Cette image mentale est comme un
fantôme qui marche avec nous et ne nous quitte jamais, ce concept mental de qui
nous sommes qu’on appelle aussi l’ego. Ce MOI conceptuel avec lequel on
s’identifie si complètement qu’on en oublie qu’il n’est pas qui nous sommes
vraiment. Voilà la structure de notre mental conditionné.
Le premier
niveau d’identification est avec le corps. Tu crois que tu es ton corps. Cela
peut être une source de fierté ou bien une source de souffrance ou de honte. Il
arrive souvent que des gens « beaux » recherchent leur identité dans leur
apparence. Mais un jour, cette source de fierté devient une source de
souffrance, car aucune forme ne reste jamais telle qu’elle est. Voilà le
premier niveau de l’identification à la matière [par opposition à
l’identification à l’essence].
Cette
identification à la matière [qui est la source de nos souffrances] ne s’arrête
pas au corps : elle s’étend aux pensées, aux histoires. Cela commence dès
l’enfance, quand on s’identifie à une idée [c’est à dire qu’on ajoute cette
idée au concept de qui nous sommes] et notamment au concept de « MOI » ou «
MON». « MON jouet » est le début de l’ego. Si tu enlèves à un enfant un jouet
qu’il appelle « MON jouet » – et pour lequel il aurait sans doute perdu intérêt
quelques minutes plus tard – un drame se crée : ce n’est pas l’objet qui
manque, mais c’est le concept mental du jouet auquel l’enfant s’est identifié
qui crée la souffrance.
L’identification
à la matière passe aussi par le prénom. « Je suis Pierre ». Ce prénom est
simplement une pensée, à laquelle j’ai appliqué le concept de « MOI »… ensuite
on ajoute toutes sortes d’autres choses à ce concept de MOI[, tels que des
goûts et des croyances]. De plus en plus de choses sont rajoutées au fil du
temps à ce concept de « MOI ». Et de là tu développes une histoire, une
narration, que tu appelles « MOI » ou « MA vie ».
Les choses
que tu fais… les choses que l’on t’a fait… Et pour la plupart des gens, ce «
MOI » pensé est source de problèmes. Car les egos ressentent comme un sentiment
de manque. Le sentiment qu’on a besoin d’arriver quelque part, qu’il y a
quelque chose d’important qu’on n’a pas encore commencé. Les gens attendent
leur « big break » [(c’est à dire leur grand moment, ils attendent de décoller,
que quelque chose se débloque)]. Ou alors ils attendent le weekend, ou leurs
vacances, ou la bonne relation amoureuse.
[Eckhart
parle ensuite de gens connus à qui il a parlé, qui au début sont ravis de leur
nouvelle notoriété car c’est ce qu’ils voulaient, mais qui ensuite deviennent
encore plus tristes que ce qu’ils étaient auparavant car ils comprennent que
l’objectif mental qu’ils s’étaient fixés pour devenir heureux n’étaient en fait
qu’une illusion.]
Les épreuves
de la vie comme opportunité d’évolution
La vie est
dure pour tout le monde. La vie nous mettra à l’épreuve constamment. Lâche la
croyance que ce ne devrait pas être ainsi. Certains pensent qu’il y a comme une
conspiration contre eux pour les rendre malheureux. Mais les épreuves sont les
choses les plus importantes pour notre évolution. Il est impossible que tout se
passe bien en même temps. Toutes les formes de vie font face à des épreuves, et
c’est seulement en étant confrontés à ces épreuves que l’on peut évoluer.
Tu as
souffert, tu as été malheureux. Mais est-ce que tu peux voir possibilité de ne
pas transformer les épreuves en souffrance (ce que Bouddha appelait Dukkha) ?
Peux-tu avancer dans la vie sans te créer de la souffrance ?
Le malheur
dépend toujours de circonstances, qui dépendent à leur tour des gens. Parce que
les gens sont difficiles. Sartre disait « L’enfer c’est les autres ».
La pensée
compulsive et la possibilité de devenir présent
Regarde une
petite souffrance : tu essayes de joindre ta banque au téléphone, tu n’y
arrives pas, on te fait attendre des heures… tu deviens irrité… comme quand tu
es dans les embouteillages ou à l’aéroport : quelqu’un qui laisse l’irritation
monter en lui régulièrement accumule une grande quantité de souffrance à l’intérieur
de lui au fil du temps. Cette irritation renforce ce concept mental erroné de «
MOI », c’est à dire l’ego.
Pose-toi
cette question : d’où vient ma souffrance ? Est-ce que c’est vraiment la
situation qui me cause de la souffrance ou est-ce plutôt quelque chose que
j’ajoute à la situation ? Évidemment c’est ce que tu ajoutes à la situation. Ce
sont des pensées du genre « je ne veux pas que ça se passe comme ça ». Mais tu
as une possibilité de devenir conscient de ton processus mental ; de voir la voix
dans ta tête [comme un élément extérieur à toi-même] plutôt que de t’y
identifier. Essaye simplement de ne pas rajouter des pensées à des situations
qui t’agacent. Sois dans l’instant présent. Regarde autour de toi. Remarque que
la situation n’est pas aussi mauvaise que te le raconte ton mental. Elle n’est
même pas mauvaise du tout. Elle est, c’est tout.
Tu prends le
moment tel qu’il est (comme la queue à l’aéroport par exemple). S’il y a
quelque chose que tu peux faire [pour améliorer ta situation], alors fais le.
Si tu ne peux rien faire, ne te bats pas. Se battre contre ce qui est ne fait
que renforcer le concept mental égotique de « MOI ». Quand tu te plains, tu
renforces ton ego, tu te sens moralement supérieur. L’ego te raconte des
histoires dans lesquelles tu as toujours raison et les autres ont toujours
tort.
Élimine la
souffrance en t’abstenant de rajouter des éléments qui ne sont pas nécessaires
à l’instant présent. Toute la vie se déroule au moment présent. Il n’y a rien
d’autre ! Ce moment est TOUJOURS plus important que le prochain. Il n’y a
évidemment rien de mal à organiser des évènements dans le futur. Mais aucun
moment futur ne peut être plus important que ce moment. Il n’y a que
maintenant. Si tu rejettes le moment tu continueras à souffrir. La pratique
spirituelle la plus importante est de faire ami avec l’instant présent, quelle
que soit sa forme.
Quelle que
soit la situation, sois dans la non-résistance [c’est-à-dire dans
l’acceptation]. L’ego ne vit que dans la résistance au moment présent. Pour
honorer le moment présent, pratique la gratitude pour ce qui est ici et
maintenant. Donne de l’attention, apprécie le moment. Arrête d’essayer
d’arriver là-bas. Ressens l’alignement avec ton corps intérieur afin de créer
une distance avec ton mental pensant sans faire baisser ton état de conscience.
Il s’agit de
la prochaine étape dans l’évolution de la conscience humaine. Narcisse avait
perdu la tête car il avait perdu la connexion avec son être. L’ego n’est jamais
satisfait très longtemps, il a souvent des problèmes d’estime de soi, des
problèmes quant a l’image qu’il se fait de l’histoire de sa vie. Ce sont des
problèmes que, par exemple, les chats et les chiens n’ont pas. Ils n’ont pas
d’image mentale de qui ils sont, parce qu’ils ne pensent pas véritablement[, en
tous cas au sens où on l’entend, c’est-à-dire au travers du langage]. Cette
faculté de penser que nous avons est magnifique mais elle nous enferme dans
cette image conceptuelle de qui nous sommes. On interprète tout sur la base de
notre mental conditionné. Le moment présent est la porte de sortie qui nous
délivre des pensées inutiles.
C’est
toujours le fait de trop penser – pas les circonstances elles-mêmes – qui
créent le malheur. Quand j’étais SDF [Eckhart a été SDF un temps], je n’étais
pas malheureux, j’étais pleinement présent. Les gens venaient s’asseoir à côté
de moi sur les bancs des parcs que je fréquentais et c’est ainsi qu’ont
commencé mes enseignements spirituels (…). Il existe une possibilité de
regarder au delà du MOI créé par le mental et de ressentir une paix profonde
(…). Il s’agit de connecter à la vérité du « JE SUIS » sans y ajouter quoique
ce soit [qui se rapporte à l’histoire de notre vie].
Est-ce que «
je » pense ? Non ! Les pensées se passent d’elles-mêmes. A moins que tu sois
présent. La présence est quand tu n’as plus de pensées mais que tu ne dors pas.
Deviens immobile et perçois. La présence demande une attention vigilante sans
quoi tu risques de retomber dans les pensées.
Il y a deux
façons de se libérer de cette pensée compulsive qui rend la vie misérable.
Passer au dessus, au travers de la présence. Ou bien passer en dessous, avec de
l’alcool ou des intoxicants, qui t’amènent vers un état de non conscience. (…)
Essaye de regarder les choses sans y ajouter d’étiquette mentale.
La
conscience universelle
Tu es
l’espace de la conscience. Même si tout ceci n’est qu’un rêve, tu ne peux
douter de l’existence de la conscience. Est-ce que tu peux ressentir le « JE
SUIS » ? (…) « Connais-toi » : il ne s’agit pas de connaître ton histoire mais
de connaître ton essence. La clé pour te connaître est la réalisation de la
vérité « JE SUIS ». La prise de conscience de « JE SUIS » est le chemin, la
lumière, la vérité. La conscience illumine le monde.
La
conscience ne peut jamais devenir un objet. Elle est l’éternel sujet. Le mot «
conscience » en Anglais [« consciousness »] n’existe pas au pluriel. Il n’y a
qu’une conscience unique. La science ne l’a pas encore découverte. Le cerveau
est un instrument au travers duquel la conscience s’exprime. Ton identité
d’essence est la conscience de l’univers. (…) La meilleure analogie est celle
du soleil qui rayonne. Quand tu ressens le rayon de soleil sur ta peau, le
soleil ne te touche pas vraiment. La conscience que tu es est une émanation de
la conscience unique, elle apparaît comme étant toi, comme un rayon de
conscience. Tu peux te rendre compte de cette vérité quand survient une
interruption dans ton flot de pensées.
Il n’y a pas
de connaissance conceptuelle quand tu es dans l’immobilité mais il y a une
connexion à la vastitude de la conscience. La sagesse surgit des profondeurs de
la conscience non conditionnée. Pour accéder à la créativité tu as besoin de
cette connexion à l’intelligence non conceptuelle qui se trouve à l’intérieur de
toi ; la pensée a besoin de s’interrompre momentanément. Toute forme de
créativité, toute forme de connexion avec les autres espèces [animales et
végétales] surgit de cet état de conscience non conditionné.
L’immobilité
d’un arbre. Tu peux ressentir son essence si tu suspends [la compulsion d’y fixer] l’étiquette [« arbre »]. L’art de vivre c’est savoir mettre les
étiquettes de côté quand tu n’en as pas besoin. Saint Saint-Exupéry : « ce qui
est essentiel est invisible à l’œil ».
Dans quelle
forme vivent tes mémoires ? Tout cela est invisible. Tu reconnais l’essence de
ton chien comme étant la même que ta propre essence. La bienveillance qui émane
de toi vers l’autre fait que l’autre n’est plus l’autre. Tu vois que vous
partagez une conscience unique. C’est ça l’amour : la prise de conscience que
ce que tu vois en l’autre est toi-même. En fin de compte, quand tu aimes une
autre forme de vie [humaine, animale ou végétale], tu t’aimes toi-même, tu
aimes la conscience unique. Tu peux ressentir la présence de l’autre qui, du
coup, n’est plus « l’autre ».
Honore
l’autre en reconnaissant qui il est dans son essence. La méditation peut t’être
utile car elle te permet de devenir conscient du moment présent. L’addiction
aux activités dangereuses [telles que les activités qui stimulent l’adrénaline]
peut te propulser dans un état de présence. Ou bien les grands chocs. Mais tu
n’as pas besoin de ça.
Peut être
qu’un jour les pensées qui précèdent deviendront la base d’une nouvelle forme
d’éducation.
C’est en
présence d’épreuves que la transformation devient plus accessible. »